
10,8 milliards d’euros financés depuis 2015*. Loin d’être un outil financier anecdotique, le financement participatif – ou crowdfunding en anglais – ne cesse de croitre dans l’écosystème entrepreneurial. Opéré via une plateforme internet, il permet à un grand nombre de contributeurs de choisir, de manière traçable, des projets pour y apporter une contribution financière.
En 2025, le crowdfunding s’impose plus que jamais comme un levier stratégique : non seulement pour financer un projet, mais aussi pour valider un marché, mobiliser une communauté et créer un premier cycle de vente. Pour nous parler de ces mécanismes nous avons interrogé Florence de Maupeou, déléguée générale adjointe en charge des relations institutionnelles et financement participatif chez France FinTech.
Source : Baromètre 2024 du crowdfunding en France - France FinTech
Interview Question/Réponse
Bpifrance Création : Quels sont les différents types de financements participatifs ?
Florence de Maupeou : Il existe trois grands types de financements participatifs. Il y a le financement participatif en don (avec ou sans contrepartie), le financement participatif en prêt et le financement participatif en investissement.
Bpifrance Création : Quelles sont les différentes formes de contreparties pour une campagne en don ?
FDM : Il y a d’abord la contrepartie non financière (reward crowdfunding). Il peut s’agir de contreparties symboliques comme des goodies (tote bag, badges, etc.) que l’entrepreneur offrira à ses donateurs. Certains entrepreneurs optent pour des marques de reconnaissance telles que la valorisation ou l’exclusivité. Un exemple dont je me rappelle est le projet « Adopte une étoile » : en 2016, une collecte avait été lancé pour la restauration des peintures de l’église Saint-Germain-des-Prés ; pour 100€, le donateur pouvait donner son nom à une des étoiles de la voûte de l’église.
Il existe également des contreparties de l’ordre du partage d’expérience, une sorte de « vis ma vie d’entrepreneur ». Un pâtissier souhaitant ouvrir un commerce pourra par exemple proposer des cours à ses donateurs, et un agriculteur ayant besoin d’investir dans du matériel aura la possibilité d’inviter ses contributeurs à vivre une journée à la ferme, etc.
Bpifrance Création : Comment fixe-t-on ces contreparties ?
FDM : C’est à la main du porteur de projet de déterminer les différentes contreparties associées aux montants des dons : plus les montants sont importants, plus les contreparties sont « intéressantes ». L’objectif est d’inciter le donateur à mettre 50 euros plutôt que 20, car il sera intéressé par la récompense associée aux dons le plus important.
L’entrepreneur doit également prendre en compte les différents coûts associés (frais de la plateforme, TVA, frais postaux pour l’envoi de la contrepartie le cas échéant, etc.). Tout cela va constituer un seuil minimum en-dessous duquel l’entrepreneur ne pourra pas aller au risque de ne plus être rentable.
Dans une campagne, il est souvent recommandé d’imaginer différentes contreparties pour s’adapter aux possibilités financières de chacun.
Bpifrance Création : Quels sont les avantages à recourir au crowdfunding ?
FDM : Premièrement, le financement. Quand on n’a pas la chance d’avoir l’apport personnel ou l’appui familial nécessaire pour lancer son business, le financement participatif permet au porteur de projet de compléter son besoin de financement auprès du grand public.
Ensuite, je dirais que le crowdfunding est très intéressant en termes de communication. Le projet est, dès sa genèse, très visible et il n’est pas nécessaire d’être donateur pour le voir passer sur les réseaux sociaux ou en entendre parler. C’est l’opportunité de développer une vraie campagne de communication tout en aiguisant son étude de marché. Par exemple, si le projet ne suscite aucun intérêt auprès de la cible, il faut peut-être se poser des questions et procéder à quelques ajustements. A l’inverse, si le projet est un succès, cela permet à l’entrepreneur de faire de l’acquisition clients, car il y a fort à parier que les contributeurs de la première heure deviendront ses plus fidèles clients.
Bpifrance Création : Est-ce qu’on peut initier une campagne de crowdfunding à tout moment de la vie de son entreprise ?
FDM : Bien sûr ! Il n’y a pas de temporalité figée ou d’obsolescence. Une entreprise peut lancer une campagne de financement participatif à tout moment. Ça peut être dans le cadre de la création de l’entreprise, mais également à l’occasion du lancement d’un nouveau produit ou service.
On observe d’ailleurs que de plus en plus d’entreprises – qui avaient déjà eu recours au crowdfunding au démarrage – y sont revenues deux ou trois ans plus tard pour lancer une nouvelle gamme. Fortes du succès de leur première campagne, elles ont à nouveau sollicité leurs contributeurs de la première heure et en ont également profité pour faire grossir leur communauté.
Bpifrance Création : Avez-vous des conseils pour choisir la plateforme la plus adaptée à son projet ?
FDM : Ça dépend du projet. La première règle quand on choisit une plateforme de crowdfunding c’est de s’assurer qu’elle est bien régulée. En effet, toutes les plateformes de financement participatif doivent être immatriculées en tant qu’IFP (intermédiaire en financement participatif) et enregistrées auprès de l’Orias, un organisme qui référence tous les acteurs régulés (bancaires et assurantiels).
Ensuite, selon si le projet est national ou très local, l’entrepreneur pourra privilégier une plateforme plutôt qu’une autre. Aussi, s’il s’agit d’un projet de proximité, je recommande de s’appuyer sur un outil territorial afin de bénéficier de l’ancrage et du maillage qu’il vous offrira.
Et s’il s’agit plutôt d’un projet national, des plateformes comme Ulule (qui a d’ailleurs récemment racheté Kiss Kiss Bank Bank) pourront très bien faire le job !
Pour les projets associatifs, il y a HelloAsso, et pour l’international, je recommande de privilégier des sites comme Kickstarter. Il existe également des plateformes thématisées comme MiiMOSA dans le secteur de l’agriculture, Flamingo pour les projets de préservation des zones humides, etc.
Bpifrance Création : Est-ce que tous les secteurs peuvent initier une campagne de financements participatifs ?
FDM : Tout secteur peut initier une campagne de crowdfunding, néanmoins je dirais que le projet devra plutôt être BtoC que BtoB. Lancer une campagne pour financer la création d’une entreprise de chariots élévateurs risque de ne pas vraiment parler au grand public.
De plus, je mets en garde les entrepreneurs qui ont un projet innovant. Quand on se lance dans une campagne de financement participatif, on se met à nu et on expose son projet. Si ce dernier a un caractère confidentiel, je préconise d’opter pour d’autres solutions de financement, ou à tout le moins, de bien veiller à protéger son idée avant de communiquer sur le projet.
Bpifrance Création : Pouvez-vous nous rappeler quelles sont les étapes à suivre pour lancer sa campagne ?
FDM : D’abord, on s’y prend tôt. Au moins 30 jours avant le lancement de la campagne, il est nécessaire de fixer le projet, rédiger les contenus qui seront mis en avant sur la plateforme de crowdfunding, définir les contreparties, cibler les médias/influenceurs qui pourront relayer la campagne et enfin identifier sa communauté. J’insiste sur le dernier point. Il faut obligatoirement savoir qui constitue sa communauté, si elle est prête à prendre part au projet et quels sont les réseaux sociaux que vous utiliserez pour la mobiliser. Je ne vous cache pas que si un entrepreneur est déconnecté de tous les réseaux sociaux, sa campagne va avoir du mal à émerger.
Vous l’aurez compris, le mot d’ordre c’est « anticipation », quitte à prendre un peu plus de temps sur le lancement pour faire grandir sa communauté.
Une fois qu’on se rapproche du jour J, il est nécessaire de préparer l’animation qui sera ensuite déroulée. Cela peut être des messages de remerciements ou des messages de relance par exemple.
Si la campagne a été un succès, je recommande de prévoir un communiqué de presse et des remerciements pour sa communauté. A l’inverse, si la somme totale espérée n’est pas atteinte, il est nécessaire de faire un bilan pour comprendre ce qui n’a pas fonctionné.
Mais attention, le travail ne s’arrête pas une fois que la campagne est clôturée. Si vous souhaitez fidéliser votre clientèle, il convient de la tenir informée de l’évolution du projet (notamment via l’espace actualités de la plateforme).
Bpifrance Création : Ça demande effectivement d’avoir la fibre communicante !
FDM : Oui, d’ailleurs si ce n’est pas son point fort, l’entrepreneur ne doit pas hésiter à s’entourer de proches plus à l’aise avec cet aspect de l’entrepreneuriat ou même à se former en amont.
Il ne doit pas oublier que le succès de la campagne dépendra de lui. Ça n’existe pas les gentils donateurs qui attendent avec impatience que les entrepreneurs mettent en ligne leurs projets pour pouvoir y contribuer. Il faut aller les chercher.
Bpifrance Création : Comment fixe-t-on le montant à collecter ?
FDM : Tout dépend du projet et des autres financements que vous avez trouvés. Il faut également tenir compte de votre communauté. Si vous avez déjà une petite notoriété dans votre domaine, vous pouvez vous permettre d’aller chercher des montants plus significatifs alors que si vous partez de zéro, il va falloir être un peu plus prudent.
Bpifrance Création : Vous recommandez également aux entrepreneurs de fonctionner par paliers, c’est bien ça ?
FDM : Effectivement. Il faut savoir que certaines plateformes fonctionnent sur la règle du tout ou rien. C’est-à-dire que si l’objectif que vous avez indiqué n’est pas atteint, les donateurs seront remboursés et vous ne récupérerez donc aucun fond collecté. Avec le fonctionnement par paliers, vous fixez un premier step, qui vous semble raisonnable, afin de sécuriser le projet et vous progressez ainsi - étape par étape - afin d’atteindre la somme finale. Chaque étape (nouveau montant à financer) doit être justifiée.
Bpifrance Création : Le crowdfunding a-t-il un coût ?
FDM : Tout dépend de ce dont on dispose au départ. La plateforme de financement participatif prend en moyenne 7 à 8 % des montants levés. Si vous n’avez pas d’outils de communication sous la main c’est bien évidemment un coût qu’il faudra anticiper (il faut a minima prévoir un logo, des photos du produit/service et quelques vidéos de présentation). Mais attention, vous n’êtes pas obligé de créer des contenus spécifiquement pour la campagne – même si certains le font – il convient simplement de bien les penser pour qu’ils puissent s’adapter aux différents moments de vie de votre entreprise (campagne de recrutement, éléments pour animer le site web, plaquette de présentation pour les investisseurs, ...). D’ailleurs, je conseillerais aux entrepreneurs de prévoir des éléments de communication dans lesquels ils se présentent et incarnent véritablement le projet. Ça rassure beaucoup plus les donateurs.
Bpifrance Création : Le crowdfunding est-il un bon exercice pour appréhender la levée de fonds ?
FDM : Bien sûr ! Il y a plein d’apprentissages à retirer d’une campagne de financement participatif. Savoir se présenter, synthétiser son projet, pitcher. De plus, cet outil financier permet à l’entrepreneur de monter en compétences sur des métiers tels que la communication, le marketing ou même des aspects plus business.