La GenZ sera-t-elle une génération d’entrepreneurEs ?

Création d'entreprise
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Lena Mahfouf, Kelly Massol, Fany Péchiodat, Pauline Laigneau, Nathalie Balla, Lucie Basch, Julie Chapon… autant de noms qui nous évoquent, à toutes et tous, des success stories entrepreneuriales. Néanmoins, s’il est facile de s’identifier à ces « girls next door », et de se dire « pourquoi pas moi ? », un fossé demeure entre l’idée et la concrétisation d’un projet.

Mais alors, pourquoi tant de femmes renoncent à l’envie d’entreprendre, et quelle est la part réelle de dirigeantes en France ? Pour nous répondre, nous avons interrogé Viviane de Beaufort, autrice, professeur à l’ESSEC Business School et fondatrice du programme Governance, Gender et Empowerment au Centre Européen de Droit et Economie de l'ESSEC. 

 

Interview Question/Réponse

Bpifrance Création : Selon le forum de l’entrepreneuriat, 33,5% des entreprises sont créées par des femmes et 21,6% des entreprises sont dirigées exclusivement par des femmes. Êtes-vous satisfaite de ces chiffres ?

Viviane de Beaufort : En réalité, ce ne sont pas les bons chiffres. Cela fait plus de 10 ans que je vois passer ces statistiques, pour autant, elles ne bougent pas d’un iota !  
D’ailleurs, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que si on ne prend en compte que les cheffes d’entreprise de plus de 5 salariés, les PME, ETI et les grands groupes, on tombe à 14 %. C’est pourquoi je trouve important, et surtout honnête, de rappeler que ces 33,5 % sont en grande partie dû aux créations de micro-entreprises, d’auto-entreprise ou de professions libérales.  

Donc pour répondre à votre question, non, je ne suis pas satisfaite, je suis au contraire plutôt déçue.

Bpifrance Création : Pourtant, la France n’est pas en reste en matière de programmes dédiés à l’empowerment des femmes, de cursus spécialisés en entrepreneuriat Féminin ou même en valorisation de rôles modèles.

VB : Oui, et pourtant… En 2007 j’avais fait le pari que dix ans plus tard ce type de programme d’accompagnement serait obsolète tant l’engouement de la société pour l’entrepreneuriat féminin semblait se diffuser.  

Dix ans plus tard émergeait la génération des startuppeuses. Plus décomplexées par rapport aux questions de mixité et de genre, très diplômées (et avec les bons diplômes pour créer et piloter des entreprises), elles semblaient portées par un vent d’enthousiasme. A ce moment-là, j’étais intimement persuadée que le problème était derrière nous et qu’il suffisait de leur donner un coup de pouce pour s’installer. Malheureusement le Covid-19 est passé par là et leur a coupé les ailes.

Toutes celles qui travaillaient depuis leur domicile, en coworking ou dans des incubateurs, se sont retrouvées complètement isolées. Celles qui avaient des enfants devaient jongler beaucoup plus qu’à l’ordinaire entre leur rôle de maman et celui de cheffe d’entreprise, et enfin celles qui s’étaient lancées avec peu de capitaux ont été contraintes de stopper leur activité par manque de ressources. Au bout du compte, leur mental s’est usé.  

Le second facteur qui a selon moi freiné l’entrepreneuriat féminin c’est l’accès aux financements. Aujourd’hui encore - et je n’en reviens d’ailleurs toujours pas - une femme qui dirige seule son entreprise n’aura pas le même accès aux financements qu’un homme. On va lui poser des questions invraisemblables sur le salaire de son conjoint et présupposer qu’elle est moins apte à gérer une société. C’est une mentalité qui n’existe plus dans bon nombre de secteurs mais qui persiste pourtant dans l’entrepreneuriat. C’est comme si on avait 10 ans de retard ! 

Bpifrance Création : Est-ce pour cette raison que vous avez choisi d’axer votre accompagnement sur la gouvernance des entreprises dirigées par des femmes ?

VB : Tout à fait ! Il faut vraiment accompagner les startups, dès le démarrage, sur leur gouvernance car la plupart du temps elles considèrent cela comme un non-sujet. C’est pourquoi je sensibilise les dirigeantes que j’accompagne sur l’importance de s’entourer d’experts bienveillants qui leur permettront de mieux négocier les virages et éviter l’isolement.

Bpifrance Création : Justement, en quoi consiste votre accompagnement ?

VB : C’est une approche humaine. On travaille leurs soft skills, je leur donne des conseils sur leur écologie personnelle (c’est-à-dire apprendre à être investie sans se détruire la santé) et j’essaie d’être une oreille, un soutien, pour les rebooster quand elles en ont besoin. Je leur fais également bénéficier de mon réseau afin qu’elles puissent recevoir des conseils éclairés de la part de pairs ou de l’aide sur des sujets bien spécifiques.  

Bpifrance Création : A l’ère de la génération Z*, pensez-vous que ces freins ont des chances de disparaitre pour de bon ?

VB : Bien sûr ! Une bonne partie de la GenZ est encore à l’école, donc à mon niveau au sein de l’ESSEC, j’observe que de plus en plus de jeunes filles manifestent de l’intérêt pour la création d’entreprise. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous avons lancé un programme dédié à l’entrepreneuriat féminin.  

Les incubateurs commencent eux aussi à prendre conscience de la nécessité d’accompagner les jeunes femmes sur tout l’aspect mental car il est prouvé qu’elles perdent plus facilement confiance en elles.  

Selon moi, l’autre piste pour faire grandir cette vague d’entrepreneures en devenir serait de pousser les jeunes filles, dès l’école primaire, à pratiquer des sports collectifs. 
S’il est prouvé qu’elles excellent dans les sports individuels, elles sont néanmoins peu présentes dans des disciplines se jouant en collectif. Pourtant leurs bénéfices sont nombreux. Affirmation de soi, leadership, travail en équipe, esprit de compétition, prise de parole en public… Des soft skills qu’il est nécessaire d’avoir lorsqu’on décide de lancer son entreprise. 

 

* La génération Z - ou GenZ - regroupe les personnes nées entre la fin des années 1990 et le début des années 2010.  

Bpifrance Création : Et que diriez-vous à toutes celles qui hésitent à se lancer ?

VB : Voyez grand, ne restez pas isolée, associez-vous et envisagez des plans B, C, D, pour parer aux difficultés ou aux aléas de la vie.  

Mélanie Bruxer - Rédactrice web
Avril 2025